Soie: en Cévennes, les "derniers des Mohicans" au savoir-faire multiséculaire
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Catherine Deneuve et Beyoncé les ont portés: l'Arsoie produit des bas couture de luxe et reste l'une des rares entreprises perpétuant en Cévennes le travail de la soie qui a marqué pendant des siècles l'économie, les mémoires et les paysages de cette région.
"Nous sommes les derniers des Mohicans", affirme Serge Massal, qui incarne la troisième génération à la tête de la société familiale, fondée dans le village de Sumène (Gard) par son grand-oncle Auguste en 1918 et aujourd'hui classée "entreprise du patrimoine vivant".
"La soie fut la richesse des Cévennes et le bas de soie était le produit mythique: nous sommes des passionnés et tentons de transmettre ce savoir-faire unique", affirme M. Massal, 62 ans. La société de 28 salariés produit notamment des bas de soie très haut de gamme, "d'une finesse inégalée sur la planète", dit-il. Vendus une centaine d'euros la paire, ils ont aussi habillé les jambes de meneuses de revue du Crazy Horse.
Les bas sont tricotés sur d'énormes métiers Reading des années 1950 dont L'Arsoie possède trois exemplaires sur une dizaine en activité dans le monde. "C'est très français: nous les avons trouvés à la fin des années 1990 au bistro du village en discutant avec un vieux mécanicien retraité, un vrai coup de chance", raconte Serge Massal. Les précieuses machines dormaient depuis des décennies à 20 kilomètres de Sumène dans les locaux d'une des nombreuses entreprises de bonneterie et textile ayant périclité face à la concurrence, asiatique notamment.
Transportées, démontées, adaptées, les Reading à 30 sections permettent, dans un vacarme assourdissant, de faire 30 jambes en une heure mais aussi des caracos, des slips, des écharpes..., l'Arsoie ambitionnant de proposer un "total look" haut de gamme en soie. "Nous n'avons pas de compétiteurs dans le monde grâce à l'extrême finesse de nos produits", assure M. Massal.
"La région était jusqu'à la seconde guerre mondiale productrice de fils de soie, mais aujourd'hui nous recevons nos écheveaux de Chine et les faisons mouliner en France", explique-t-il.
Soie en 3D
L'Arsoie, qui réalise un chiffre d'affaires annuel de 1,4 million d'euros, vend ses produits sous la marque Cervin et pratique essentiellement depuis cinq ans le e-commerce, "une petite revanche de la production sur la distribution qui a massacré nombre d'entreprises", relève M. Massal. Soixante-dix pour cent de la production est exportée, en majorité vers les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine.
"La soie a été déterminante dans l'économie cévenole, elle reste très présente dans le subconscient collectif en Cévennes et dans les paysages avec les mûriers blancs - "l'arbre d'or" dont les feuilles sont l'unique nourriture du ver à soie- et les grands bâtiments des anciennes magnaneries et filatures", souligne Sabina Arnaud, guide au Musée de la soie de Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard).
"Selon des actes notariaux, des tireurs de soie étaient présents en Cévennes dès le 13e siècle, l'âge d'or de l'éducation des vers à soie étant compris entre 1715 et 1855, qui marque l'arrivée de la pébrine (une maladie) qui va décimer les chenilles", rappelle-t-elle.
Aujourd'hui les deux principales entreprises qui continuent à travailler la soie en Cévennes - L'Arsoie à Sumène et Soiries des Cévennes/Eyos qui produit des vêtements en jersey de soie à Monoblet-, importent le fil de soie grège de Madagascar ou de Chine mais une petite start-up installée à Monoblet annonce "un renouveau très prometteur", souligne Mme Arnaud.
Dans son atelier de Monoblet (Gard), où travaillent cinq personnes et qui ne se visite pas pour des raisons de confidentialité, Séricyne fait travailler des "magnans" - des vers à soie en occitan - qui au lieu de produire des cocons fabriquent directement de la soie en 3D, "une matière et un savoir-faire uniques", souligne l'une des créatrices de la start-up Constance Madaule.
La matière produite, un entremêlement de fils de soie liés par une molécule filée par le ver à soie, la séricine, est notamment prisée dans la haute couture et la décoration de luxe. (AFP)
Photo: Pascal Guyot / AFP